La rencontre

« Raconte-moi, je t’écoute. » Voilà comment j’ai commencé. Elle hésite encore, je suis pourtant certaine qu’elle veut me raconter. Qu’elle veut que j’écrive son souvenir pour qu’il ne soit pas oublié. Mais pour que j’écrive, il faut qu’elle le raconte.
Elle touche son verre de bière, le soulève légèrement. Elle le repose et elle commence.

Lui et moi, on s’est écrit un peu, comme tu le sais déjà. Nos échanges tellement doux et pleins de confidences. On a parlé de sexe, mais aussi d’autres choses. On s’est dit des choses jamais dites à personne, une intimité partagée.
C’était fort.
Et puis il y a eu ce soir, après le hammam, tu te souviens du hammam ? Je lui ai écrit.
Au début, tu sais, je pensais que j’allais juste lui envoyer un texte un peu sexy, évocateur, mais sans plus. J’étais fatiguée après notre journée, détendue par le hammam et le massage. Je voulais dormir tôt cette nuit-là.
Donc, un texte court et ensuite, dodo, telles étaient mes intentions. Je me suis allongée sur le lit, et j’ai commencé à écrire.

Elle s’arrête, un sourire sur ses lèvres, un sourire retenu. Puis elle reprend.

En fait, de texte anodin… il m’a mise sur une piste et… nous nous sommes écrit une histoire un peu… nous avons… nous nous sommes aimés par écrit cette nuit-là. C’était très érotique et très doux encore. Et…

Elle prend une inspiration.

Je me suis caressée pendant qu’on écrivait, lui aussi, je crois. Et je lui ai demandé de m’envoyer une photo, de… de son sexe en érection.
Il a hésité.
Je ne sais pas pourquoi j’ai demandé, l’excitation, sans doute.
Et la fatigue aussi. Tu sais comment je suis quand je suis fatiguée, je ne filtre pas.
Donc j’ai demandé.
Et je me suis endormie.
Quelques minutes.
Juste quelques minutes.
Je me suis réveillée en sursaut. La lumière du téléphone illuminait doucement la chambre.
Une photo.
Mon cœur a fait un bon, je t’assure. J’ai cliqué pour que la photo s’affiche.
Il… ah, il avait accédé à ma demande. Juste après mon microsommeil.
J’avais dormi, quoi, dix minutes. Dix minutes pendant lesquelles il a dû être à l’agonie. J’ai été horrifié de l’avoir involontairement laissé dans le doute.
Je me suis excusée, platement.
Puis je l’ai remercié, chaleureusement.
Nous nous sommes dit au revoir ensuite, doucement.
Et je me suis endormie, le sourire aux lèvres. C’est cliché, je sais, mais…
Je ne vais pas entrer dans les détails.
Les jours qui ont suivi, ou plutôt les nuits, j’ai très peu dormi. Nous passions une ou deux heures par nuit à nous écrire. Des indécences pour reprendre ton expression. C’était tellement doux et profond. J’étais troublé, tu le sais, j’étais troublée.
J’ai voulu le rencontrer. Je ne voulais pas reproduire les erreurs du passé, rester dans le virtuel complètement. Je voulais le voir, le toucher, le sentir. Il a accepté. Le temps que ça se fasse, un mois est passé, un mois d’échanges les plus fous, les plus doux, les plus intenses. Quelques photos aussi. Des bouts de nous.
Une main.
Une chaussure.
Une cravate.
Photos bien anodines, puis… un sein, une poitrine, un caleçon, des bas… C’était doux et tellement naturel…

Elle fait une pause et je vois dans ses yeux qu’elle revoit ces photos.

Au début, il ne voulait pas qu’on se voie, puis il a dit oui.
A-t-il cédé, je ne crois pas, je ne pense pas avoir insisté. C’est drôle comme il a commencé par me dire qu’on pourrait se voir, pas longtemps, le temps de prendre un verre et puis, finalement, un peu plus longtemps, il quitterait plus tôt son rendez-vous pro. Je n’ai pas relevé, mais j’ai trouvé ça mignon.
Et le temps passait, lentement. J’essayais tant bien que mal de ne pas me projeter. Il essayait aussi, je crois.
Et le jour J est arrivé.
Jusqu’au dernier moment, j’ai cru qu’il ne viendrait pas, qu’il invoquerait une complication au boulot ou autre. Je ne lui ai pas dit ça. Je ne lui ai pas dit que je me suis couchée persuadée que j’étais qu’il ne viendrait pas.
Il a envoyé un message pour me dire qu’il était en route. Je me suis levée, un peu affolée, je me suis habillée simplement, jean, chemisier, escarpins. Je ne voulais pas d’enjeu dans cette rencontre, je voulais juste le voir et confirmer mon ressenti.
J’ai marché jusqu’au café où nous avions rendez-vous. Je suis arrivée la première. Le café était fermé. J’en ai ri.
J’ai commencé à imaginer un plan B en l’attendant devant ce café, il faisait bon, la nuit était agréable, pas trop froide pour une nuit de décembre. L’attente était…
Une voiture s’arrête, il en descend. Mon cœur s’est mis à battre la chamade, je te jure.
C’était juste… c’était trop pour moi. Nous nous sommes fait la bise. J’ai parlé du café fermé, nous avons ri, je crois. Et j’ai proposé de nous rendre à un bar que j’avais croisé auparavant. Il m’a suivie.
Ce bar était un peu quelconque, mais il avait le mérite d’être ouvert. Nous avons pris un café pour moi, un thé vert pour lui. Je ne parlais pas beaucoup, je l’observais surtout et j’essayais de comprendre pourquoi il m’attirait autant. Il a cru que j’étais déçu. Il me l’a dit après. Mais non sur le moment, je n’étais pas déçue, simplement dépassée par ce que je ressentais.
Le café était bruyant, un peu trop chaud. Il a proposé que nous sortions, que nous marchions un peu. J’ai accepté. Alors que nous sortions, j’ai vu le patron du café qui nous suivait du regard. J’imagine ce qu’il a dû se dire.
Et nous avons marché, parlé un peu, plaisanté un peu aussi. Je n’osais lui proposer d’aller dans ma chambre, je ne voulais pas brusquer les choses, qu’il se sente obligé alors qu’il m’avait fait part de ses réticences par écrit.
Et pourtant j’avais envie de le lui proposer.
C’est lui qui a débloqué la situation. Il m’a demandé si nous n’irions pas prendre une tisane de thym. C’était une petite blague entre nous.
J’ai répondu que oui.
Nous voilà dans ma chambre. J’étais un peu gênée, tu sais, j’étais tellement certaine qu’il ne viendrait pas que je n’avais pas rangé avant de sortir le rejoindre. Et puis la chambre était petite, minuscule.
Tu l’as bien décrite dans tes poèmes.
J’ai vite ramassé ce qui trainait pendant qu’il enlevait son manteau. J’ai rempli la bouilloire pour la tisane. Franchement, j’aurais préféré pouvoir l’accueillir mieux, dans une chambre plus spacieuse, de celle que je retiens d’habitude…
Mais nous étions là, j’ai fait avec et j’ai poussé cette contrariété au loin.
Ensuite, et bien, nous avons fait ce que nous nous étions dit.
Nous avons enlevé nos chaussures et nous sommes assis sur le lit. J’avais laissé la lumière de la salle de bain allumée.
Il voulait de la pénombre, plus de pénombre.
Sans trop y réfléchir, j’ai traversé le lit à quatre pattes. Au moment où j’éteignais, je me suis rendu compte que je venais que lui offrir une pleine vue sur mes fesses. Hum.

Elle sourit, un peu embarrassée.

Je suis retourné m’assoir à ses côtés, nous avons parlé un peu, je crois.
Et il a pris ma main.
Ce premier vrai contact m’a chamboulé. Sa main si douce contre la mienne. Je l’ai laissé faire un moment. Il me fallait un peu de temps pour m’ajuster au déferlement d’émotions que je ressentais.
Nos mains se sont caressées.
Ensuite, je te l’avoue, je ne me souviens pas de tous les détails.
Nous parlions un peu, je n’en suis pas certaine.
Mon autre main a rejoint la première, je me suis tournée un peu vers lui et j’ai caressé son bras, j’ai déboutonné sa manche et j’ai glissé ma main en dessous.
Je crois qu’il a posé son autre main sur mon cou. Il m’a caressé l’épaule à travers le tissu. Je voulais qu’il me touche, j’ai enlevé mon chemisier. J’avais un petit top dessous. Pas de soutien-gorge comme tu sais. Il a continué, à me caresser doucement et à me presser aussi. J’ai été surprise au début et puis j’ai aimé ses pressions dans ma chair.
Je lui ai dit, « je peux » avant de déboutonner sa chemise de quelques boutons. Je voulais le toucher. J’ai glissé ma main sur sa poitrine, ses poils soyeux sous mes doigts.
Je crois me souvenir que nous avons fait des pauses.
Je crois que nous avons parlé du fait d’être raisonnables.
Je crois avoir dit que ce ne serait pas raisonnable s’il baissait la bretelle de mon top.
ll l’a fait. Je ne sais plus si c’est lui ou si c’est, ou les deux, peu importe qui l’a fait.
Le haut du top a été descendu et un de mes seins a été libéré.
Sa main dessus. Un délice, je t’assure.
C’est peut-être à ce moment-là que j’ai demandé à nouveau « Je peux » et j’ai fini de déboutonner sa chemise.
Je parcourus son torse de ma main libre.
Il a pris un sein dans sa bouche. Il a caressé l’autre. Et… sa bouche. J’en ai gémi de plaisir. J’ai eu envie, je t’assure, j’ai eu envie, à ce moment, de m’assoir sur lui.
Mais je ne voulais pas qu’on aille trop vite, que ce soit trop pour lui.
Je me suis rappelé ses réticences.
Alors je me suis retenue.
Sa bouche qui continuait sur mes seins, ses mains sur moi qui pressaient. Mon corps était arqué vers lui à la limite de la bascule.
Et il m’a repoussé, doucement.
« Il faut que vous partiez. » Ce n’était pas une question. Il fallait qu’il parte. Il a parcouru mon corps rapidement, a pressé mes épaules, mon ventre, mes cuisses, pour dire au revoir.
J’ai rallumé dans la salle de bain, j’ai réchauffé la tisane que nous n’avions pas bue pendant qu’au bord du lit, il ajustait sa chemise.
Je lui ai servi une tasse. Je me souviens de ce geste complice, quand il a pris la tasse, je me suis appuyé légèrement sur son dos. C’est bête, mais ce petit moment est aussi cher à mes yeux que le reste.
Puis nous nous sommes levés, il a remis sa veste, un baiser sur la bouche, un baiser léger pour me dire au revoir. Quelques mots et encore un baiser. Et il est parti.

Elle a fait une longue pause cette fois. J’ai attendu en la regardant, je savais ce qui allait venir. Et je savais aussi que c’est elle qui devait le dire. Alors j’ai attendu et j’ai baisé les yeux. Elle a parlé.

C’est la seule fois que je l’ai vu. Ensuite, et bien ensuite, des disputes, des complications, des silences, de longs silences. Il a fini par rompre, pour me rendre ma liberté, parce que je serais mieux avec un autre.
Mais moi, et bien, moi, je ne voulais pas être libre.

Sa voix s’est étranglée sur ces mots. Je n’ai pas osé la regarder. J’ai posé une main sur la sienne. Je préférais quand elle me racontait ses histoires indécentes.

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